L’ÉGLISE SAINT-BLAISE DE LACOMMANDE

Texte écrit par Jean Claude Lassègues (mars 2023)

L’église Saint-Blaise de Lacommande a été classée au titre des monuments historiques le 12 mars 1962. Jusqu’à la fusion des évêchés de Bayonne, Lescar et Oloron en 1801, elle dépendait du diocèse d’Oloron. La Bayse, qui sépare les villages de Lacommande et d’Aubertin, constituait la limite entre les anciens diocèses d’Oloron et de Lescar. Pourtant, l’église Saint-Blaise et le cimetière adjacent ont accueilli pendant des siècles les habitants des deux communautés, Aubertin ne disposant de sa propre église qu’en 1867 malgré une tentative infructueuse en 17731.


Les premières études de l’église de Lacommande ont été effectuées dans les années 19502, mais il faut attendre 2007 pour que Jacques Lacoste intègre cet édifice dans les grandes oeuvres de la sculpture romane en Béarn3. Nous nous réfèrerons essentiellement à ce dernier travail et à une publication récente du même auteur4.


Quand cette église fut-elle construite ?

La charte albertine de 1128 et la bulle du pape Eugène III de 1151 fixent des limites extrêmes. En effet, en 1128 il n’est question que d’un hôpital et d’une maison, l’église n’est pas encore construite. Par contre, en 1151, le pape Eugène III prend sous sa protection les possessions du prieuré de Sainte-Christine-du-Somport et il cite en particulier l’église d’Aubertin avec l’hôpital et toutes ses dépendances (ecclesia de Albertino cum hospitali et omnibus appenditiis suis)5.

Dans l’intervalle, nous ne disposons d’aucun autre document officiel. Cependant, il reste possible de dater avec une précision raisonnable l’itinéraire d’un sculpteur appelé le maître d’Oloron, qui, après avoir travaillé au portail de Sainte-Marie d’Oloron et développé un atelier, est passé par Aubertin/Lacommande et Sainte-Engrâce, puis s’est dirigé vers Uncastillo, une des Cinco Villas aragonaises donnée à Gaston IV le Croisé par le roi Alphonse 1er Le Batailleur en reconnaissance de sa contribution dans la reconquête de Saragosse. C’est ainsi que l’Histoire de l’art vient au secours de l’Histoire pour situer la construction de l’église de Lacommande vers 1135-1140.

Constructions et restaurations du XIIe siècle à nos jours

L’église a donc été construite peu après l’hôpital et nous savons par ailleurs que le cimetière était situé au nord de l’église6, tandis qu’un cloître était vraisemblablement adossé au mur sud de l’église et au mur est de l’hôpital7. L’église ne comportait à l’origine qu’une nef rectangulaire prolongée par un choeur un peu plus étroit et par une abside semi-circulaire. La nef comportait au moins quatre fenêtres à ébrasement intérieur alors que l’abside était éclairée par trois baies. Le portail d’entrée était vraisemblablement situé sur le mur pignon occidental.

Toutes les études antérieures ont supposé que la nef avait été allongée vers l’ouest pour accommoder une tribune. Cependant, après un examen minutieux de l’extérieur du mur nord sur toute sa longueur, Jacques Lacoste n’observe aucun changement d’appareil et conclue donc que la nef avait dès l’origine sa longueur actuelle, même si de très importants remaniements ont été effectués sur les murs sud et ouest.

Les avis divergent aussi entre les tenants d’une simple voûte lambrissée au-dessus du choeur et de l’abside et ceux qui supposent que la voûte d’origine était bâtie. Cette dernière hypothèse s’accorde mal avec l’absence de renforts extérieurs et intérieurs des murs concernés. En projection, il s’ensuit le plan approximatif suivant, somme toute assez classique pour un établissement religieux de cette époque.



Figure 1. Plan supposé de l’établissement religieux au XIIe siècle

Vers la fin du XIIe siècle, un bâtiment de plan carré prolongé par une absidiole est bâti à l’extrémité orientale du mur nord de la nef (Fig. 2). On ne sait pas quel type d’ouverture fut alors pratiqué entre la nef et la chapelle nord. On ne sait pas davantage s’il y eut aussi une construction latérale, ou du moins une ouverture vers le cloître, du côté sud.



Figure 2. Plan supposé de l’église au début du XIIIe siècle

Lors des troubles de la Réforme protestante, l’ensemble du bâtiment subit de graves dommages8 et les chanoines réguliers de Saint-Augustin doivent évacuer les lieux. Il s’écoule ensuite une assez longue période avant l’arrivée effective des Barnabites en 1640, au cours de laquelle l’entretien du bâtiment est très déficient.

C’est donc dans la deuxième moitié du XVIIe siècle que les Barnabites entreprennent d’importants travaux de rénovation et aussi quelques modifications majeures :

  • installation d’un nouveau cimetière à l’emplacement du cloître détruit.
  • ouverture d’un porche d’entrée sur le mur nord.
  • construction ou aménagement d’une chapelle au sud
  • ouverture ou agrandissement d’un accès vers les chapelles nord et sud afin de mettre en valeur les autels et retables baroques introduits après la Réforme.
  • élévation du clocher
  • construction d’une tribune.

Le plan résultant se rapproche alors de celui établi par M. Lauffray en 1954, sauf qu’un local appelé prison de la commune n’est transformé en sacristie par l’abbé Labarrère que dans les années 1866 après qu’une porte de communication ait été percée dans le choeur.

La différence majeure avec le plan de M. Lauffray reste cependant que la totalité du mur nord de la nef est ici considérée comme étant d’origine, c’est à dire du XIIe siècle (parties en rouge sur la Fig. 3). Nous faisons aussi l’hypothèse que les deux grandes ouvertures dans les murs de la nef vers les chapelles nord et sud sont contemporaines de l’actuel portail d’entrée. Ils n’ont en effet rien de roman et sont même d’un aspect assez rudimentaire. C’est sans doute lors de leur construction que l’on fut amené à boucher les deux fenêtres orientales de la nef. La trace de ces fenêtres subsiste sur les murs intérieurs.


Figure 3. Plan levé par M. Lauffray en 1954. En noir et rouge XIIe siècle, en traits hachurés XIIIe siècle, en points XVIIe siècle et ultérieur.
Noter la présence d’un autel, aujourd’hui disparu, sous la fenêtre sud de la nef.

                                                     
Figure 4. Plans en coupe du clocher et du choeur levés par A. Lemort en 1970

Pour ce qui est de l’élévation de l’église, un plan en coupe du clocher permet de bien différentier la chapelle médiévale de la partie supérieure comportant un escalier d’accès à la cloche tandis que le plan en coupe du choeur au niveau des deux fenêtres latérales révèle de solides fondations et le profil du plafond lambrissé (Fig. 4).

Vu de l’extérieur, le clocher présente effectivement un changement d’appareil, à environ mi-hauteur, entre le sous-bassement médiéval et l’élévation effectuée par les Barnabites en 1695. La partie inférieure conserve deux importants pilastres, des corbeaux, et diverses ouvertures. Le bas de la face nord comporte en particulier une grande fenêtre géminée. Elle a sans doute été murée lors de l’installation du retable de la Vierge à l’intérieur, pour ne laisser que deux fines meurtrières d’aération. Au-dessus de cette fenêtre, on note la présence d’une petite baie cruciforme, bouchée à l’intérieur lors de l’installation du retable.

Un escalier sur la face ouest permet d’accéder à une bretèche du XIVe siècle et au clocher. Un petit orifice correspond à la fenêtre du mur ouest de la chapelle (Fig. 5).

   
Figure 5. Les trois côtés du clocher avec indication par des traits pointillés jaunes de la séparation entre la base médiévale et la surélévation effectuée par les Barnabites en 1695.

Le mur pignon occidental a manifestement été complètement reconstruit de façon assez sommaire. Il ne comporte plus qu’une fenêtre et une modeste porte. Au-dessus du linteau de cette petite porte subsistait, il n’y a pas si longtemps9 , une dalle sculptée de trois personnages nimbés de 66 cm de hauteur et un chrisme (Fig. 6). Ils sont aujourd’hui déposés dans la sacristie avec d’autres fragments de sculpture, possibles vestiges du portail occidental.

Face à l’actuel portail d’entrée, une petite porte a aussi été percée dans le mur sud de la nef, afin d’assurer une communication directe entre l’église et le cimetière après la Réforme protestante.


Figure 6. Eléments de sculpture qui subsistaient au-dessus du linteau de la petite porte du mur ouest.

Au XXe siècle, les travaux de restauration et d’entretien des voûtes et de la toiture se poursuivent, toujours un peu dans l’urgence. Un cliché de 1945 montre que l’abside est occupée par un grand autel en marbre blanc surmonté d’un clocheton qui cache la statue de saint Blaise (Fig. 7). Nous verrons par la suite que la fenêtre axiale a vraisemblablement été murée lors de l’installation d’un retable au XVIIe siècle, le fronton cintré de Dieu le Père qui la surmonte constituant la partie sommitale de ce retable.


Figure 7. Arc triomphal, choeur et abside en 1945. Photo du Service Territorial de l’Architecture et du Patrimoine (STAP), Maison Baylaucq à Pau.

Comme indiqué par un cliché de 1964, soit deux ans après le classement de l’église aux Monuments Historiques, le clocheton au-dessus de l’autel a été démonté10, laissant apparaître la statue de saint Blaise, mais la chaire et le chemin de croix subsistent (Fig. 8).


Figure 8. Communion solennelle en 1964 sous les auspices de l’abbé René Ambielle († 20/07/2016).
Photo fournie par Rose Votié.

Peu après, afin de retrouver l’atmosphère romane, l’autel et son tabernacle sont transférés dans l’église de Cuqueron, la chaire, le chemin de croix et d’autres éléments de décoration sont évacués, la fenêtre axiale de l’abside est ouverte et la statue de saint Blaise déplacée au pied de la colonne gauche de l’arc triomphal. Tout ceci n’empêche pas qu’un incident majeur se produise le 14 mai 1970 : le côté sud-est de l’abside s’effondre alors que des travaux de consolidation étaient en cours à l’extérieur et que l’abbé Ambielle dispensait un cours de catéchisme à une dizaine d’enfants dans la chapelle sud (Fig. 9).


Figure 9. Effondrement de 1970. La construction en galets du gave qui apparaît derrière l’abside est une aîle de la ferme Peyré, aujourd’hui détruite (photo STAP).

Il faut reconnaître que les travaux de reconstruction ont été fort bien réalisés et nous permettent de profiter aujourd’hui d’un ensemble épuré et bien éclairé dans lequel la sculpture romane est mise en valeur.

Le visiteur qui rentre dans l’église est immanquablement attiré par la lumière qui baigne, dans le choeur et l’abside, l’arcature aveugle et ses douze arcs en plein cintre reposant sur de fines colonnettes à bases attiques et portées par un stylobate mouluré. L’attention est très vite attirée par les thèmes très variés des chapiteaux situés à hauteur d’homme, puis par ceux de l’étage supérieur. Un élégant bandeau de billettes sépare les deux étages en faisant le tour complet du choeur et de l’abside tandis qu’un bandeau intermédiaire orné de petites fleurs joint les tailloirs de la fenêtre centrale au tailloir le plus proche des fenêtres latérales. Le bandeau le plus élevé, à la jonction du mur et du plafond lambrissé, est en bois et de fabrication récente (Fig. 10).

En se rapprochant, on peut remarquer, sur les moellons du choeur et de l’abside, la marque des tâcherons qui les ont fabriqués. D’autres marques sont présentes sur le mur nord intérieur de la nef et, de façon plus surprenante, à l’extérieur du mur nord du choeur. Ils sont visibles dans l’absidiole de la chapelle de la Vierge.


Figure 10. L’arc triomphal, le choeur et l’abside en 2020

Les chapiteaux romans

Les chapiteaux aux tailloirs historiés constituent l’oeuvre maîtresse de cet ensemble roman, à commencer par les deux plus grands qui occupent une position privilégiée au sommet des deux colonnes engagées qui portaient l’arc triomphal. Lorsque c’est possible, les trois côtés de chaque chapiteau sont présentés11.


Figure 11. Numérotation des chapiteaux de l’abside et du choeur

Chapiteau 1 : Les rois Mages en route vers Bethléem

Figure 12 Figure 13 Figure 14

Ils sont représentés chevauchant de petits chevaux, coiffés de superbes couronnes à fleurons et portant leurs présents. Deux d’entre eux convergent vers l’étoile qui les guide et le troisième les rejoint en provenance de la face droite. La disproportion voulue entre la taille des mages et celle de leurs montures, le harnachement soigné des chevaux, la représentation de l’étoile par une énorme fleur portant le nombre magique de sept pétales, combinent leur part de mystère pour conférer à l’ensemble un charme indéniable.

Chapiteau 2 : Adoration des Mages

Figure 15 Figure 16 Figure 17

Les Mages sont arrivés à destination et l’étoile occupe encore une position privilégiée. Le premier mage, genou à terre, offre l’encens, le second la myrrhe et le troisième l’or, à moins que ce ne soit l’inverse car les récipients ne disent rien sur le contenu. Saint Joseph assiste en spectateur, appuyé sur son bâton, dans une attitude de voyageur fourbu, tandis que la Vierge à l’Enfant reçoit les présents et occupe une place centrale. Ses pieds sont posés sur un petit tabouret selon la coutume orientale. Bien que ses traits soient grossiers et quasi-masculins, elle dégage une certaine sérénité.

Vue de dessus des chapiteaux 1 et 2

Figure 18 Figure 19

Ces chapiteaux, vus de dessus, semblent prêts à recevoir un arc brisé ou en plein cintre.

Chapiteau de la sacristie

Curieusement, l’adoration des Mages est aussi représentée dans un chapiteau situé dans l’encoignure nord-ouest de la sacristie, près du toit. C’est peut-être une ébauche. Saint Joseph n’est pas représenté et le premier Mage n’a pas encore un genou en terre pour présenter son cadeau à la Vierge.


Figure 20 -Chapiteau de la sacristie

Chapiteau 3 : La fuite en Egypte


Figure 21 Figure 22

Sans que l’on puisse parler de programme iconographique, cette scène est la suite logique des précédentes. En effet, la quête des rois Mages a alerté le roi Hérode. Lorsqu’il apprend la naissance du roi des Juifs à Bethléem, il décide de faire tuer tous les enfants de moins de 2 ans. Il faut donc fuir et Joseph, portant besace et bourdon comme un pèlerin, a ici le premier rôle, même s’il écoute attentivement les conseils d’un ange aux ailes déployées. La Vierge, assise sur l’âne, porte l’enfant emmailloté dans ses bras et attend tranquillement la suite du voyage vers l’Egypte. Cette deuxième face est plus rudimentaire et plus abîmée que la première, l’âne ayant perdu sa tête.

Chapiteau 4 : Daniel dans la fosse aux lions

Figure 23 Figure 24 Figure 25

Cette scène de l’Ancien Testament est un grand classique de la sculpture romane. Conseiller du roi Mède Darius, le prophète Daniel tombe en disgrâce et Darius le fait jeter en pâture aux lions. Cependant, on voit ici Daniel, tenant le livre sacré d’une main et bénissant les lions de l’autre. Loin de l’attaquer, ceux-ci font obédience et il semble même que l’un deux lui lèche le bras. De ce chapiteau endommagé où la représentation des lions est assez grossière, ressort sur la face avant la sérénité de Daniel debout face à une adversité vaincue par la parole de Dieu.

Chapiteau 5 : Danseuse et musiciens

Figure 26 Figure 27 Figure 28

Les visiteurs sont généralement attirés par cette scène vivante et gaie, qui n’est pas sans rappeler quelques attitudes du moderne hip hop. On y voit en effet une danseuse effectuant une contorsion extrême, un bras prenant appui sur le sol et l’autre, à la verticale, accentuant la cambrure. Son ample chevelure, indication d’une femme non mariée, est déployée verticalement et touche le sol. Elle est accompagnée par un joueur de luth coiffé d’un bonnet pointu pour souligner les excès de la danse. Cependant, au centre, un joueur de vièle fait le lien avec une autre danseuse dans une attitude plus sage, accompagnée d’un autre joueur de luth, tête découverte. La danseuse « sage » a perdu son bras droit lors de l’effondrement de 1970. Victor Allègre, qui a vu la scène complète, rapporte qu’elle avait les deux mains sur les hanches12.

L’église de Lacommande n’a pas l’exclusivité de cette scène. Il existe en effet quantité d’autres représentations de danseuses et de musiciens dans la sculpture romane. En particulier, plusieurs églises en Aragon présentent de semblables bailarinas contorsionistas. Elles semblent avoir suivi les itinéraires des échanges transpyrénéens au XIIe siècle et, en particulier, ceux de la Reconquête et du pèlerinage vers Saint-Jacques en Galice.

On note la représentation fréquente, en un même lieu, de la danseuse dans deux attitudes très différentes: contorsion extrême ou attente, main sur les hanches. Elle est vêtue de vêtements longs mais dont la légèreté permet souvent au sculpteur de révéler les formes du corps de façon suggestive. L’évocation de la danse de Salomé renvoie à une mise en garde des croyants vis-à-vis de ces exhibitions, antichambres de la luxure.

Chapiteau 6 : Sonneurs d’olifant ou de cor

Figure 29 Figure 30 Figure 31

L’olifant fait immanquablement penser à Gaston IV ou à Roland. Instrument noble, il appelle au combat et à la lutte contre les infidèles. Trois des sonneurs ont des attitudes semblables, genoux fléchis, main sur la hanche, concentrés dans leur effort. Le sculpteur a mis en avant-scène la symétrie presque parfaite des deux personnages centraux. Le quatrième, guerrier ou chasseur, joue en marchant d’un air décidé. Il porte une lance et son olifant est élégamment enrubanné.

Bien que le tailloir du chapiteau, décoré de rubans entrelacés, ait été sérieusement ébréché en 1970, seul le deuxième sonneur a perdu son bras droit tandis que la partie inférieure de l’olifant du quatrième sonneur a disparu.

Chapiteau 7 : Oiseaux picorant des raisins

Figure 32 Figure 33 Figure 34

Composition symétrique d’oiseaux retournant leur col pour picorer des grappes de raisin. La face droite du chapiteau, bien que très endommagée, poursuit cette représentation. Les pattes griffues de ces oiseaux s’accrochent à un astragale festonné.

Le tailloir comporte un rinceau de feuillages.

Chapiteau 8 : Quatre monstres grimaçants

Figure 35 Figure 36 Figure 37

Sur un fond de simples crossettes à triple tiges recourbées au centre et dans les angles, quatre monstres accroupis, grimaçants et hideux, tiennent des disques ou des fruits dans leurs pattes antérieures.

Bouches ouvertes et regards pernicieux, ils savourent jalousement les plaisirs qu’ils vont s’offrir. Un des monstres a perdu son museau lors de l’effondrement de 1970, mais l’ensemble reste miraculeusement préservé.

Le tailloir est ici aussi orné de rubans entrelacés.

Chapiteau 9 : Personnages barbus accroupis

Figure 38 Figure 39 Figure 40

Des personnages accroupis dans les angles, aux faciès immobiles et pétrifiés, portent les mains vers leur barbe. Ils sont vêtus de longues robes bordées de perles. Entre eux se profilent des tiges qui s’entrelacent, se recourbent et portent des feuilles.

Chapiteau 10 : Lions affamés sur fond de végétation

Figure 41 Figure 42 Figure 43

Sur un fond de végétation, entre de larges feuilles d’eau légèrement recourbées, des lions accroupis paraissent affamés. Prêts à bondir, leurs pattes griffues se cramponnent à l’astragale. Avec une parfaite symétrie ils se présentent sous le dé central, leurs têtes surmontées d’élégantes feuilles recourbées en crossettes. Dans les angles, des demi-palmettes cauliformes se rejoignent avec beaucoup de légèreté.

Chapiteau 11 : Combat de centaures

Figure 44 Figure 45 Figure 46

Coiffés de bonnets juifs, quatre centaures sagittaires s’affrontent avec leur arc bandé dans une ronde infernale sur un astragale perlé. Ici, la sculpture est plus adroite, animaux et personnages plus souples. Le combat est vivant, énergique et vigoureux.

Ces monstres mythologiques sont souvent associés par les auteurs du Moyen Age aux sirènes dans une réprobation qui fait d’eux les êtres les plus infernaux légués par l’Antiquité. Un rinceau aux tiges souples orne le tailloir.

Chapiteau 12 : Masques d’animaux dans décor végétal

Figure 47 Figure 48 Figure 49

Aux angles de la corbeille, deux petites têtes grimaçantes et très laides, mais d’apparence presque humaine, se dégagent d’un décor de feuillages entrelacés. Sur le tailloir, sinue un rinceau d’où naissent des palmettes.

Chapiteau 13 : Harpies et sirènes

Figure 50 Figure 51 Figure 52

Bustes de femme et corps de rapace ou de poisson, deux harpies et deux sirènes, héritières de la mythologie grecque, alternent sur la corbeille de ce chapiteau. Cependant, les harpies présentent ici la particularité d’avoir un buste masculin coiffé d’un bonnet phrygien, ce qui accentue leur rôle redoutable et néfaste. Les sirènes, interpellées par les harpies, semblent chanter, en accord avec leur rôle de séductrices et d’ensorceleuses. Ulysse dut s’attacher au mat de son navire pour ne pas succomber. Il n’y a pas de doute que le croyant est ici mis en garde contre ces êtres mortifères, symboles de la tentation et du péché.

Chapiteau 14 : Un couple se réconcilie

Figure 53 Figure 54 Figure 55

Les problèmes de la vie quotidienne sont évoqués sur ce chapiteau détérioré et mal restauré. Entre deux scènes représentant un couple enlacé dans une sorte de dispute amoureuse, un bouquet de fleurs est apporté pour signifier la réconciliation.

Chapiteau 15 : Quatre oiseaux picorant

Figure 56 Figure 57

Sur fond de végétation et crossettes, deux oiseaux affrontés picorent le calice d’une fleur tandis que deux autres, en corps à corps avec ceux-ci, exercent la même occupation dans les angles latéraux. Leurs pattes griffues s’accrochent à un astragale festonné.

L’ÉTAGE SUPÉRIEUR

Au-dessus de l’arcature, les corbeilles des six petits chapiteaux qui encadrent les fenêtres sont toutes décorées d’animaux et de monstres. Ils viennent conforter les représentations des chapiteaux inférieurs (de 7 à 13) dans le registre du « monstrueux »13. L’intention est assez claire : il s’agit de mettre le croyant en garde contre toutes les turpitudes et tentations véhiculées par ces êtres maléfiques.

Les chapiteaux 16 et 17 qui encadrent la fenêtre nord présentent des rapaces nocturnes, chouettes ou hibou. C’est l’image du Juif et de ceux qui, comme lui, refusent la lumière du Christ et restent dans le péché. De part et d’autre de la fenêtre centrale, des animaux, médiocrement représentés, pourraient être des sangliers (chapiteau 18) et des chameaux ou dromadaires (chapiteau 19). Aux chapiteaux 20 et 21, des êtres simiesques, bouche ouverte, sont prêts à bondir.

Chapiteaux intérieurs de l’étage supérieur

Figure 58 Figure 59
Figure 60 Figure 61
Figure 62 Figure 63

. A l’extérieur, il n’y a plus de décors aux voussures des ouvertures axiale et sud, pas davantage sur les impostes, et, aux fenêtres sud et est, seuls les tailloirs sont conservés. Il reste cependant deux chapiteaux historiés. Ce sont sans doute des scènes de lutte

Chapiteaux extérieurs de l’étage supérieur

Figure 64 Figure 65
Figure 66 Figure 67
Figure 68 Figure 69

La chapelle nord

Cette chapelle de plan carré - 4 m de côté pour une hauteur de 7 m - constitue la base du clocher et s’ouvre à l’est vers une petite absidiole de plan pentagonal14. Une telle configuration suggère que l’absidiole comportait un autel où, en certaines occasions, la messe était célébrée, les fidèles se tenant dans la pièce carrée. A une date indéterminée, une cuve baptismale est ensuite installée dans l’absidiole. Puis, au XVIIIe siècle, un autel et un retable sont adossés contre le mur nord. C’est sans doute alors qu’une large ouverture, utilisant un profil en arc de panier, est aménagée dans le mur septentrional de l’église afin de mettre en valeur l’autel-retable de la Vierge.

Pour préciser un peu la datation de l’ensemble, il faut lever les yeux vers la voûte d’ogives quadripartite de la pièce rectangulaire et la voûte en arc de cloître à cinq pans de l’absidiole. En effet, des éléments architecturaux du même type, souvent cisterciens, ont été mis en oeuvre dans les deux dernières décennies du XIIe siècle et les premières années du XIIIe siècle. Les ogives, dont le profil apparent est un simple boudin, ne reposent pas sur des supports partant du sol ; de plus elles ont la particularité d’être amorties en pointes dans les angles rentrants des murs comme cela se voit dans de nombreux édifices, notamment, dans le sud de la France et l’Espagne du Nord (Fig. 70).


Figure 70 – Voûte de la chapelle de la Vierge et fenêtre est

Les amincissements des ogives sont soulignés à leur naissance par une sorte de bague sur trois desquelles sont exécutées des sculptures, ce qui les rend tout à fait semblables aux ogives de plusieurs des voûtes de l’église de l’Hôpital-Saint-Blaise (Fig. 71).

Figure 71: Masques ornant les bagues des ogives de la chapelle nord. De gauche à droite, angles NO, SE et SO. Les deux masques joufflus, bouches largement ouvertes, yeux exorbités, manifestent leur effroi. Quant au troisième culot, de facture assez rudimentaire, il pourrait représenter la Jérusalem céleste. Le masque qui écarte sa bouche avec ses doigts est une sorte de signature du « maître d’Oloron ». On retrouve en effet ce type de représentation à Ste-Marie d’Oloron et Santa Maria de Uncastillo.

De fait, les villages de Lacommande et de l’Hôpital-Saint-Blaise, distants de seulement 21 km de distance à vol d’oiseau, furent dès le XIIe siècle des établissements dépendant du prieuré de Saint-Christine du Somport. La titulature de leur église présente une grande parenté car avant d’être consacrées à saint Blaise, elles le furent toutes deux à la Vierge15. Il n’est donc pas étonnant que leurs églises présentent des éléments architecturaux communs, comme l’a signalé Elie Lambert dès les années 195016.

Ainsi, l’abside principale de l’Hôpital-Saint-Blaise porte une voûte en arc-de-cloître, plus vaste, mais de même plan que celle qui couvre la petite absidiole de Lacommande (Fig. 72). Un autre point commun se rapporte à la manière de renforcer les angles de la construction par des contreforts plats qui les emboîtent. Dans le rez-de-chaussée de la tour, deux petites baies se font face, très près des voûtes. Celle du mur oriental - s’ouvre, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, sous des arcs agrémentés de petits lobes.


Figure 72 : Absidiole de la chapelle nord transformée en salle baptismale

Figure 73 : A gauche, baie occidentale à l’intérieur de la tour carrée. Au centre et à droite, intérieur et extérieur de la baie orientale de la tour carrée

Lorsque l’on examine de près l’ébrasement intérieur de cette fenêtre du mur oriental, on constate qu’il est partiellement fermé sous l’arc supérieur - qui est un arc brisé lobé selon une terminologie empruntée à Henri Terrasse17 - par plusieurs encorbellements successifs aux diverses formes géométriques assez sèches (Fig.73). L’origine de cet agencement surprenant, qui ici ne paraît pas des plus esthétiques, est, toutefois, parfaitement repérable : il s’agit d’une composition architecturale complexe, très décorative, dont l’Espagne musulmane donne des exemples à partir du XIIe siècle et qui est le plus souvent utilisée pour embellir les coupoles, les plafonds, ou l’intrados d’arcs particulièrement larges. C’est le système des «muqarnas», que certains auteurs ont parfois appelées stalactites. Même si à Lacommande on n’en voit qu’une réduction simplifiée, on acquiert la conviction que le maître d’oeuvre avait une expérience approfondie de l’art musulman, ce qui le rapproche d’autant plus de celui de l’Hôpital-Saint-Blaise et rend très probable qu’il s’agisse du même individu.

Il va sans dire que cette chapelle nord et son absidiole ont certainement subi nombre de modifications au cours des âges. Outre le nouvel agencement entraîné par l’installation de l’autel-retable de la Vierge dans la tour, quelques indices récents témoignent aussi de travaux dans l’absidiole : deux stèles discoïdales sont utilisées en remploi dans l’ébrasement de la fenêtre inférieure nord, une autre à l’extérieur. Il existe une niche à droite de l’autel de la Vierge dans le mur ouest de la tour. Sa fonction n’est pas évidente, non plus que celle du linteau d’une porte murée très rudimentaire à l’extérieur. Tous ces éléments n’ont rien à voir avec la période romane. Quant à l’oculus à six lobes (Fig.72), il fait l’objet d’une rénovation récente.

Cette absidiole ne conserve, comme seul mobilier, qu’une cuve baptismale en pierre décorée d’une simple tête assez rudimentaire. Faute de pouvoir la dater, nous la qualifierons de médiévale.

Le mobilier des XVIIe et XVIIIe siècles

L’arrivée des Barnabites, au milieu du XVIIe siècle, a manifestement coïncidé avec l’introduction d’un mobilier baroque dans les chapelles latérales et peut-être même dans l’abside. Citons à ce propos Françoise-Claire Legrand18 :

Du grand retable qui devait occuper au XVIIe siècle le fond de l’abside, subsiste le fronton cintré d'où surgit Dieu le Père tenant le globe, encastré dans la voûte de bois, au dessus de la fenêtre axiale. En proviennent probablement aussi, le grand tableau, en très mauvais état, qui se trouve dans la nef, une "Crucifixion" à la mise en page assez originale et une statue de Saint Blaise, à l’entrée du choeur.
En face cette dernière, une vierge à l’enfant du XVIIIe siècle.

Ce fronton cintré représentant Dieu le père était tombé en morceaux lors de l’écroulement de 1970, mais il a été bien rénové et remis en place (Fig. 74). Il constitue la partie sommitale de beaucoup de retables baroques dans diverses petites églises du Béarn et du pays Basque.


Figure 74 : Fronton cintré de l’abside

Vers la fin du XVIIe siècle, les Barnabites percent le mur méridional de la nef à son extrémité orientale d’un large arc surbaissé assez disgracieux, pour donner accès à une vaste chapelle rectangulaire, la chapelle du Très-Saint-Sacrement, aujourd’hui chapelle Saint-Joseph, qu’ils bâtissent alors en médiocre appareil et qu’ils couvrent d’un lambris.

Cette chapelle sud contient un retable de la fin du XXIIe siècle au centre duquel figure un tableau de la Cène dans le goût de Philippe de Champaigne (Fig. 75). Il est entouré par deux colonnes torses le long desquelles s’enroule une vigne portant des grappes de raisin et de petits anges nus (putti) qui permettent une datation approximative. On sait en effet que l’évêque d’Oloron, Joseph de Révol, interdit en 1706 la représentation de ces puttis. Il faut donc en déduire que ce retable date de la fin du XVIIe siècle.


Figure 75 : Autel-retable de saint Joseph dans la chapelle sud

Ce retable présente de nombreuses caractéristiques de l’art du sculpteur Jean-Baptiste Dartigacave, auteur de nombreux autres retables en Béarn, avec en particulier de larges volutes qui se terminent par des aigles de part et d’autre des colonnes torses 19.

Dans la même chapelle est entreposé un autel-tombeau portant un tabernacle d’esprit rocaille qui semble dater du milieu du XVIIIe siècle (Fig. 76). Il se compose d’un coffret souligné de volutes, à la porte timbrée d’un triangle trinitaire, entouré de deux panneaux aux contours chantournés renfermant deux angelots adorateurs. Au-dessus du tabernacle, le Christ en croix est surmonté par la colombe de l’Esprit-Saint. Deux anges agenouillés sont en prière sur des supports extérieurs. Ils appartenaient sans doute à un autre mobilier.


Figure 76 : Tabernacle d’esprit rocaille dans la chapelle sud

Revenons dans la chapelle nord, où l’ornement majeur est l’autel-retable de la Vierge du début du XVIIIe siècle (Fig. 77).

Cet autel-retable est sans doute postérieur à celui de saint Joseph puisque les putti ont disparu. Ce sont maintenant des grives qui picorent les raisins. Autour de la fausse niche renfermant la statue, deux petits avant-corps à colonnes torses et chutes de fleurs. Entre les colonnes, descendent de longs panneaux décorés de chutes de fleurs. La base de chacune des quatre colonnes est ornée d’une tête angélique. Elles sont séparées, par des scènes de l’Annonciation. A droite, un ange porte le message divin. A gauche, la Vierge est agenouillée devant une écritoire où est posé le livre des Ecritures. Dans la partie sommitale du retable, la colombe de l’Esprit-Saint descend, dardant ses rayons, et environnée d’angelots. Sur le devant de l’autel, l’Agneau pascal repose sur le livre à sept sceaux.


Figure 77 : Autel-retable de la Vierge dans la chapelle nord